Réconcilier la ville avec l’eau Position de base des EGEB - Carte blanche

Ce texte a été publié dans Bruxelles en Mouvement, le journal d’Inter Environnement Bruxelles (IEB) en mars 2010, à la suite de la crise de la Station d’épuration Nord de l’hiver 2009-2010

Bruxelles et ses eaux vivent un moment critique majeur. Y a-t-il quelque chose à apprendre d’une crise qui est un moment où les temps se contractent à outrance ? Pour nous, il s’agit d’arrêter de se fixer sur les seules causes immédiates et d’observer les flux portés par les temps longs de l’Histoire.

Historiquement, la ville a refoulé l’eau. Ce phénomène est ancien et accompagne l’idée de Progrès qui suppose que tout problème trouve une solution technique. Avec l’industrialisation, les rivières perdent leur valeur économique, les moulins et les viviers disparaissent. L’ultime fonction des cours d’eau est d’être dépotoirs. Pour les hygiénistes de la ville, le voûtement des rivières est la solution retenue pour en faire des segments du réseau d’égouttage. L’habitat et les voiries sont en pleine expansion, les sols s’imperméabilisent. La plupart des eaux de ruissellement sont destinées à l’égout, augmentant les volumes d’eau polluée et entraînant des inondations.

L’eau ne s’infiltrant plus dans le sol, les nappes phréatiques s’épuisent et des sources se tarissent. Il faut faire venir l’eau de bassins versants éloignés. La solution est technique : tuyauteries, pompes, filtration, réservoirs... Plus de 95 % des 65 millions de m³ d’eau potable que les Bruxellois consomment annuellement proviennent du bassin de la Meuse, pour se jeter ensuite dans celui de l’Escaut en passant par les égouts. L’eau ‘technique’ est devenue jetable. Désormais, elle a un coût.

La ville a perdu la perception de l’écologie de l’eau. L’eau potable sert à tout - par exemple laver la voiture -, et l’eau de pluie ne sert plus à rien, si ce n’est à provoquer des inondations. La Senne, enfouie, n’est guère plus utile. L’eau est affaire de tuyauteries : elle se virtualise. La politique de l’eau de plus en plus centralisée se limite à une gestion de l’entrée, de la sortie et des tuyaux. L’eau a fini par sortir de l’imaginaire de la cité, elle en a été refoulée, perdant toute sa dimension sacrée - ‘impayable’ - d’élément fondateur de vie.

Depuis vingt ans, l’Europe oblige à dépolluer l’eau - ce qui n’est pas contestable. Vu l’urgence, la construction d’une station d’épuration s’est imposée. Or, un tel outil fonctionne d’autant mieux que les eaux sales y sont moins diluées. L’outil est surdimensionné car il doit aussi gérer les rares eaux de crue. Ceci exige des financements gigantesques (1,5 milliard d’euro pour Stepnord). Comme l’Europe interdit tout endettement public au-delà des 3% annuels, c’est dès lors le “privé” qui financera l’outil, ce qui renforce un complexe technico-financier aux dimensions toujours plus imposantes et de moins en moins contrôlable1. Maintenant, le prix de l’eau intègre sa dépollution et l’eau devient un enjeu financier répondant aux critères de la finance globalisée.

Un conflit se structure entre l’autorité publique et la gestion privée de l’eau menant à la crise que l’on connaît. Le citoyen toujours plus éloigné de la décision politique s’en désintéresse d’autant plus qu’il paye un service. La marchandisation accrue de l’eau en fait de moins en moins un Bien commun… Cette crise apparaît comme un retour du refoulé. Nous atteignons le paroxysme d’une vision du monde où chaque solution technique est prise dans une urgence apparente sans perception des temps longs, sans vision.

Les questions environnementales appellent à une autre manière de voir, complexe, écologique et osons-le, poétique. La ville peut renouer avec l’eau en jouant sur la diversité de ses ‘comportements’ et recréer, par de multiples dispositifs techniques ou sociaux/collectifs à l’échelle du bassin versant (citernes de récupération, noues d’infiltration, bassins ralentisseurs, étangs, toitures vertes, rigoles, points d’eau publics, plate-forme expertes et citoyennes, contrats de rivière...), l’émergence de nouveaux cycles de l’eau que nous appellerons Nouvelles rivières urbaines. Cette approche offre de nombreux avantages, comme la diminution des boues à épurer et des inondation, etc. L’eau reprend sa place, elle donne vie aux végétaux, infiltre le sol, réalimente les sources... et l’imaginaire commun. Les chemins d’eau ‘convivialisent’ les espaces publics, traduisent la topographie de la ville, redonnent une perception de la temporalité des cycles de l’eau…

Dans cette vision, l’ingénieur et le financier ne sont plus les seuls experts : ils sont accompagnés de l’architecte, de l’urbaniste, du géologue, du jardinier, du sociologue, de l’artiste, de l’animateur de quartier, des habitants... Le citoyen devient également co-producteur, il intervient et participe. L’économie se décentralise et crée de nouveaux métiers et emplois urbains. La question n’est plus seulement : comment gérer l’eau ensemble, mais quelle eau pour quelle ville ?

La Région est bien consciente de ces enjeux et, en tant qu’acteurs de la société civile, nous nous proposons d’ouvrir le débat par l’organisation d’États généraux de l’eau à Bruxelles en intégrant la perspective des temps longs, en formulant l’hypothèse de Nouvelles rivières urbaines et une gestion participative de l’eau pour qu’elle soit un Bien commun. Il est urgent de développer à Bruxelles une nouvelle culture de l’eau et de nouvelles manières d’agir.

Pour la Plate-forme Eau Water Zone :
Alain Adriaens (vice-président honoraire Commission politique de l’eau), Pierre Bernard (architecte), Antoinette Brouyaux (citerneuse), Chloé Deligne (FNRS - ULB), Kevin De Bondt (Earth System Science - VUB), Marie Demanet (ERU), Bernard Deprez (La Cambre Architecture), Camille Herremans (Euracme), Emmanuel Legros (citoyen), Jean-Marie Lison (Parcours citoyen), Valérie Mahaut (Architecture et Climat – UCL), Dimitri Phukan (Habitat et Rénovation), Dominique Nalpas (Parcours citoyen), Liesbet Temmerman (chercheur), Christian Sebanyambo (étudiant en technologie d’architecture), Bertrand Wert (conseiller en politiques d’innovation)

Voir la page sur les Nouvelles rivières urbaines

Hypothèse stratégique et politique
Ces EGEB qui restent néanmoins issus de ce que l’on appelle la Société civile s’appuient sur une hypothèse stratégique. Celle-ci devrait donc accompagner ou soutenir le processus des Etats généraux dans sa durée, voire au-delà. Si les EGEB se sont dotés d’un Comité de Pilotage pour conduire le projet, il semble important qu’ils soient accompagnés par un Groupe de Recherche composé de scientifiques et d’autres acteurs/chercheurs de la ville afin de valider/invalider les éléments mis dans l’hypothèse et surtout pour proposer des balises qui pourraient guider l’action.

Durant l’hiver 2010, la station d’épuration Nord est mise à l’arrêt. Un conflit majeur oppose la Région à Aquiris, une filiale de Veolia qui gère la station. Durant cette crise la plate-forme Eau Water Zone prend position.

Celle-ci a été explicitée dans le texte ci-dessus qui est devenu l’hypothèse dite "stratégique et politique" des EGEB.