Article paru dans www.jesuismagazine.be, le 14 mars 2011.
A partir du mois d’avril, et ce pendant plusieurs semaines, Bruxelles sera le théâtre d’une grande réflexion citoyenne sur la place de l’eau dans notre capitale. Les Etats Généraux de l’Eau à Bruxelles / Staten Generaal van het Water in Brussel, nom officiel de cet événement, se veulent une plateforme de réflexions sur l’eau à la fois comme Bien Commun, comme objet de gestion urbaine et comme lieu de participation citoyenne.
L’idée originelle de lancer ce projet date du début de l’année 2010, pendant la « crise » de la station d’épuration Stepnord, au nord de la capitale belge, qui mit publiquement en évidence les difficultés de l’inclusion de la sphère privée dans le financement de grands projets de gestion publique. Ce conflit structurel entre sphères publique et privée étale au grand jour l’exclusion systématique des citoyens pour ce qui a trait à la gestion des ressources en eau, dont ils paient pourtant les services. L’eau, bien commun de l’humanité, devient progressivement – si ce n’est déjà fait – un bien « économique » comme un autre. Pourtant, par définition, l’eau est un élément essentiel à la vie, irremplaçable et public ! Malgré tout, le citoyen est devenu exclu du processus de gestion, et n’est plus qu’un simple « payeur de service ». Autre élément fondamental dans cette prise de conscience citoyenne, lié au premier, l’eau a progressivement disparu du paysage de la ville par l’industrialisation, la pollution, le voûtement ou l’enfouissement des rivières (le Maelbeek, la Senne…), le développement exponentiel de voiries, l’imperméabilisation des sols amenant l’eau à être évacuée au plus vite vers le réseau d’égouttage…
C’est sur ce double-constat que des membres de la société civile de Bruxelles ont voulu réagir face à cette distanciation progressive de leur pouvoir légitime sur une ressource qui leur (nous) est vitale, dans le but de réconcilier la ville avec l’eau. Portés par un comité de pilotage composé de plusieurs organisations1 ainsi que par un Groupe de Recherche (composé d’architectes, de scientifiques, de représentants de comités de quartier, de conseillers politiques, d’artistes, entre autres), l’objectif est de réfléchir et agir ensemble afin de peser sur les politiques publiques en matière d’eau. Elaboration d’un plan de gestion de l’eau et de propositions politiques, organisation de colloques, de festivals de l’eau et autres animations artistiques et culturelles, rencontres entre citoyens et politiques sont au programme de la préparation des Etats Généraux de l’Eau à Bruxelles. Au cœur de cette initiative, on retrouve le désir de mettre en pratique le concept de participation citoyenne, ici dans le cadre du développement d’une nouvelle culture de l’eau à Bruxelles.
De nos jours, la participation citoyenne est au centre de nombreux débats politiques et même universitaires. Ces dernières années, la faiblesse croissante de la participation citoyenne évolue, en effet, main dans la main avec un public de plus en plus critique de l’action des gouvernements. A l’image d’un aimant, les deux parties semblent se rejeter : la démocratie représentative est en crise. C’est tout aussi vrai au niveau des États-nations (baisse des taux de participation aux élections, mécontentement des populations) qu’au niveau européen. L’Europe est ainsi souvent pointée du doigt pour son déficit démocratique, ses eurocrates enfermés dans une tour d’argent et ses citoyens au mieux critiques mais trop souvent désintéressés de ce qui se passe à « Bruxelles ».
Toutefois, la participation est la source ultime de la légitimation des décisions politiques et se trouve au cœur du modèle démocratique. Faut-il rappeler que la démocratie repose sur de nombreux principes dont celui de la souveraineté populaire ? Le peuple souverain doit être à la base des décisions que vont par la suite le lier. Il doit donc retrouver sa place au cœur de ce que l’on appelle la sphère publique et participer à la prise de décision concernant le « vivre-ensemble ». Que ce soit les jurys citoyens, les forums politiques en ligne ou les réunions de quartier, de nombreuses initiatives voient actuellement le jour, soutenues et même encouragées par les politiques en mal de légitimité. Le fossé qui sépare le peuple de ses représentants ne peut disparaître que grâce à une réelle participation citoyenne. Il ne faut pas prétendre consulter les citoyens mais le faire vraiment. De la même manière, il ne faut pas critiquer les politiques si nous ne sommes pas prêts à être des citoyens consciencieux, informés et guidés par un réel désir d’améliorer notre quotidien ainsi que celui de nos concitoyens.
Les Etats Généraux de l’eau à Bruxelles s’inscrivent dans cette démarche. En effet, les enjeux environnementaux, le droit à une vie humaine décente pour tous les membres de la société ainsi que le droit à la vie pour les générations futures, sont qualifiés d’intérêts généralisables. Autrement dit, il est souvent considéré que des citoyens réunis en assemblée dans le but d’atteindre une décision collective auront plus de facilité à le faire si l’enjeu en question va dans le sens de l’intérêt de tous. La protection de l’environnement, en tant que domaine qui nous concerne tous et qui touche directement notre vie quotidienne, devient l’intérêt de tous. L’accès à une eau potable de qualité et à une qualité de vie qui respecte la sacralité de l’eau et de l’autre sont les bases d’une société qui vise le bien commun.
Les citoyens, réunis en assemblée – ou en Etats généraux comme ici – ont donc la possibilité de reprendre possession de la sphère publique, ce lieu de participation qu’ils vont s’approprier de nombreuses façons. Non seulement au travers de débats et de colloques mais aussi par l’intermédiaire de créations artistiques (festival de films, expositions, etc.), il sera question d’orienter les politiques publiques régionales en matière de gestion de l’eau en faveur d’une réconciliation de l’eau et de la ville. C’est ici que les États Généraux marquent des points. En effet, toutes les formes de discours seront invitées à participer à ce débat. Il sera donc possible, pour une partie de la société très souvent exclue des débats car située en dehors des normes classiques du discours politique, de se faire entendre. En effet, ce n’est pas qu’une discussion formelle qui prendra place mais aussi un appel à « l’Agir créatif » ou à la discussion au travers de l’art, le cinéma et même l’imaginaire collectif en lien avec l’aspect mystique de l’eau.
Ce n’est plus seulement l’ingénieur, l’économiste ou le technocrate qui sera en amont des décisions liées à la gestion de l’eau en région de bruxelloise mais l’ensemble de la population intéressée par le sujet. Ces États Généraux sont donc une chance pour les bruxellois de tous horizons de se rassembler, de discuter et de partager autour de l’eau, source de vie, et de reprendre en main la sphère publique, source de démocratie. Et parce que l’eau s’immisce dans tous les aspects de l’organisation humaine, c’est la redéfinition de notre rapport à la ville et à notre vie que les organisateurs de ces États Généraux nous proposent d’accomplir. Un bien beau projet qui mérite la participation du plus grand nombre… Ces Etats généraux commencent par un Colloque d’ouverture qui aura lieu les 6 et 7 mai en la salle Dupréel à l’ULB.
Anaïs Camus & Alexis Carles
Info générales : http://www.egeb-sgwb.be/Home
Article paru dans www.jesuismagazine.be, le 14 mars 2011.