La science découvre, l’industrie applique et l’homme suit Le cas d’Aquatopia Lainé

, par Dominique Nalpas

« La science découvre, l’industrie applique et l’homme suit » Maxime citée à l’Exposition Universelle de Chicago de 1933.

L’étude Aquatopia, proposée par les EGEB qui en sont le maître d’oeuvre, menée par Architecture et Climat, l’auteur de projet et financée par Bruxelles Environnement nous apparaît comme pouvant devenir un outil puissant d’aide à la décision. Pour faire le suivi de cette étude et l’analyse des paramètres qui la conditionnent, un comité de pilotage a été mis en place avec : Bruxelles Environnement, Hydrobru, Vivaqua, la VUB, l’ULB, CutyDev, etc.
Cette étude, initialement, avait pour objectif de calculer le potentiel opérationnel, le potentiel économique et le potentiel en terme d’emplois des NRU. Cette étude a montré pour le cas du Bassin versant du Molenbeek que pour 7 % de désimperméabilisation des sols, on avait une efficacité de 75 % des eaux de surfaces qui peuvent être traitées (c’est à dire ne pas pas être envoyées vers les égouts), ce qui est considérable.

Ce qui est intéressant avec Aquatopia, c’est que cette étude a développé une méthodologie de l’approche qui peut servir pour analyser le potentiel hydrologique des NRU pour toutes les situations géographiques de la RBC. Elle permet dès lors de visualiser dans quelle mesure des NRU et autres techniques dites alternatives peuvent être avantageusement utilisées dans telle ou telle situation.

C’est sur cette base que la Commune de Forest et les EGEB ont demandé un financement auprès d’Hydrobru pour mener une étude sur le potentiel de NRU en amont du square Lainé où un BO était mis en hypothèse. C’est Vivaqua qui a mené l’étude. Cette dernière a été présentée à la Commune de Forest en présence de représentants de la commune de Forest, de Bruxelles Environnement, des EGEB et de l’un ou l’autre chercheur.

Les résultats présentés par Vivaqua ont montré un mauvais rendement des NRU à 10 ans. Mais disons le d’emblée, les EGEB contestent la manière dont les réglages de cette étude ont été faits.
1 – L’étude n’a pas utilisé les capacités d’infiltration des parcs alentours, alors même que Beliris va réaliser un jardin d’orage dans le parc de Forest par exemple.
2 – La modélisation n’utilise pas le parcellaire
3 – Le taux de renouvellement de transformation des voiries est de 2 % l’an, voire 4 %.

Au total, la simulation table sur le fait qu’il n’y aura pas ici de financement spécifique pour une approche décentralisée du risque d’inondation. Elle se construit sur la base d’une contrainte budgétaire, méthodologique et technique dans un contexte de business as usual.

Le représentant de Vivaqua a commenté le résultat en disant que la transformation pour une gestion décentralisée de l’eau sera trop lente pour diminuer réellement les risques d’inondation dans des temps raisonnables. Il s’agit donc de continuer le programme de construction de BO comme prévu. Mais bien sûr, il faut commencer à penser à créer des mesures décentralisées pour tout un tas d’autres raisons liées aux multiples aménités que cette approche décentralisée peut produire : bien- être, amélioration de la biodiversité, diminution des îlots de chaleur, etc.

Nous sommes en désaccord avec cette façon de voir et nous la qualifierions comme scientifiquement insuffisante car elle exclut de son champ des données à caractère social ou politique, les théories sociologiques ou agogiques du changement. Cette approche exclut de son champ de recherche ce qui forme le cadre de la demande. Pour le dire autrement, cette approche part du point de vue que le technicien en génie civil (en bout de chaîne du processus décisionnel) possède toutes les données et variables.

Du coup, c’est le politique qui laisse le technicien en génie définir la volonté politique. Et Nous sommes en désaccord. Bien des variables peuvent être modifiées et elles n’appartiennent pas au seuls techniciens, mais à de nombreuses autres couches de la société dont bien entendu le politique. Les sciences humaines sont convoquées ici.

Tout d’abord nous avons été étonnés que la demande d’aide en financement se soit transformée sans aucune discussion en une étude directement menée par Vivaqua. Alors que Vivaqua était dans le comité de pilotage d’Aquatopia avec de nombreux autres acteurs, inversement, Vivaqua n’a pas jugé utile de créer un groupe de pilotage d’Aquatopia Lainé. Cela fait partie des processus méthodologiques insuffisants liés à une insuffisante compréhension sur les conditions sociales de l’élaboration de l’expertise.

Nous pensons que – faisant références aux Sciences studies, - nombreuses formes d’expertise supposent une analyse des contextes de l’expertise et nécessitent donc l’ouverture des recherches à des collectifs multidisciplinaires, multisectoriels, multicouches.Nous pensons que l’on peut modifier tous les paramètres utilisés par Vivaqua pour mener l’étude, que cela nécessite débat avec des collectifs plus larges que ceux de l’expertise purement technique (tuyautaire) et que les résultats peuvent s’en trouver fortement modifiés.

1 – Bien sûr, il faut compter sur les parcs qui ont de grandes capacités d’infiltration. Il est prévu que parc de Forest accueille un jardin d’orage d’importance, pas exemple... Le parc Duden va aussi faire l’objet de modifications par Beliris...

2 – On peut comprendre que pour les ingénieurs le travail dans le parcellaire ne soit pas une idée première, les techniques qu’ils emploient sont assez éloignées des considérations sociologiques ou de la mobilisation des habitants... Or nous pensons qu’il est possible de créer des dynamiques qui permettent de mobiliser des habitants pour faire évoluer la gestion de l’eau dans le parcellaire... Moyennant bien sûr un soutien financier aux particuliers pour réhabiliter des citernes, individuelles, collectives ou autres, des jardins d’orages, etc.

3 – Mais le plus important est de travailler au niveau des voiries en imaginant un taux de renouvellement accru de ces dernières pour augmenter le potentiel d’infiltration des sols, d’évaporation ou évapotranspiration et autres usages.... Ce qui demande là aussi un surcroit de financement au même titre que la réfection des égout ou la construction des BO et donc une décision politique.
La qualité d’une approche décentralisée sera aussi fonction de sa capacité opérationnelle pour une gestion des questions liées à l’eau en tant que telle, et notamment la gestion des inondations. Une amélioration de la qualité du paysage urbain, même dans la ville dense, dans une vision durable, doit être concomitante avec la diminution des risques d’inondation et la diminution des charges polluantes. Dès lors, il y a lieu de diminuer les solutions classiques de gestion de l’eau au profit de formes de gestion décentralisées. Il y a lieu de transférer une part de l’énergie (finance, moyens humains,...) demandée pour la création des BO et autres ouvrages vers des technologies diversifiées et décentralisées qui demandent un design humain intégrant une diversité d’acteurs... Et ici ce n’est pas au technicien de définir les choses, mais bien aux citoyens et politiques.

Du moins, il est d’autres techniciens se fondant sur les sciences pour asseoir leur expertise, totalement aptes à être des contre-experts (par rapport au premier) : « Quand on réunit trois scientifiques, on a quinze points de vue divergents », disait Ulrich Beck, 1986. C’est le cas de Chistian Piel, bien connu des Bruxellois puisqu’il fait des formations sur le paysage urbain, l’eau et l’architecture. Récemment lors d’une formation de Bruxelles environnement il expliquait avec clarté qu’en France, l’Agence de l’eau finançait des projets de jardins d’orage et autres en utilisant les financement de l’assainissement .

Or ce qui s’est passé avec l’appropriation de l’étude nous montre avec clarté comment les politiques ont laissé les techniciens s’approprier le processus d’établissement du savoir, l’expertise, pour en faire une vision unique... Vivaqua devient juge et partie dans cette affaire. L’exemple qui nous a été donné à voir avec Aquatopia Lainé, ne serait-il qu’un cas parmi d’autres où des communes faisant appel à l’expertise technique officielle de la Région (Vivaqua) ne peuvent recevoir qu’une réponse technique qui devient dès lors réponse politique ? Nous pensons que cette pratique auto-référentielle n’est pas bonne pour notre Ville-Région. Il faut absolument créer une expertise externe à la seule expertise « officielle » centrée sur la tuyauterie.

Mais pour ce faire, et à la décharge de Vivaqua, il faut aussi pouvoir prouver que ces formes de gestion décentralisée sont possibles. Malheureusement, on ne pourra prouver leur réelle efficacité qu’en les mettant en place dans la réalité, en en faisant l’expérimentation réelle par le biais de projets pilotes par exemple. Sans une volonté politique et vu la masse financière et énergétique intégrée par l’approche classique, ultra dominante donc, il n’y aura pas de possibilité de créer ces expérimentations. L’idée est de donner des moyens expérimentaux à des projets pilotes. C’est une décision politique. Nous la demandons avec force pour sortir des mécanismes autoréférentiels qui n’apportent plus de savoirs nouveaux.

Type: article
Composition: article
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