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Plutôt que d’évacuer les eaux de pluie le plus vite et le plus loin possible via ses canalisations, Bruxelles amorce une gestion plus naturelle de ses eaux pluviales. Au bénéfice de la végétation, mais aussi des habitants concernés par les inondations.
La Région bruxelloise dispose d’un système unitaire d’assainissement, ce qui signifie que les eaux de pluie et les eaux usées sont recueillies dans les mêmes tuyaux, à savoir les égouts. Première conséquence : les stations d’épuration doivent traiter des eaux qui n’étaient pas sales au départ, mais qui se sont mélangées aux eaux noires. Cela augmente le coût de traitement qui est assumé par l’ensemble des Bruxellois. Deuzio : la capacité des égouts n’étant pas flexible, ceux-ci saturent lors de fortes précipitations. Le mélange eau de pluie/eaux usées remonte alors parfois dans les rues via les avaloirs et dans les caves des habitations. Pour éviter ces inondations, on décide généralement de construire des bassins d’orage permettant de stocker le surplus. C’est ce qu’on appelle la "gestion tuyautaire de l’eau" et celle-ci est de plus en plus contestée.
L’entrée en politique de l’eau
Les premières remises en question remonteraient à la mise en œuvre du bassin d’orage sous la place Flagey. À la suite des inondations de 1978 dans la vallée du Maelbeek, la réalisation de cet ouvrage souterrain fut longtemps une sorte de serpent de mer. À l’époque, on évoquait même la possibilité de le construire sous les étangs d’Ixelles. "Le permis a finalement été accordé à la fin des années 1990 et les affiches rouges habituelles annonçaient l’enquête publique sans que les riverains soient vraiment conscientisés. Seule une poignée d’architectes écologistes en Flandre ou de professeurs à l’UCL menaient alors des réflexions plus larges sur le sujet", affirme Dominique Nalpas des États Généraux de l’Eau à Bruxelles (EGEB).
Ce dernier se souvient de la mobilisation née autour de ce projet : de la mise sur pied d’un comité d’habitants, des réunions d’information à l’école d’architecture La Cambre et puis d’un séminaire, en 2002, lors duquel la gestion centralisée de l’eau fut mise en cause au profit du concept de solidarité des bassins versants. "Cela n’a pas permis de remettre en cause ce projet-là, mais ce mouvement citoyen de remise en question de la gestion centralisée de l’eau a débouché sur l’entrée en politique de l’eau qui devient un sujet dont on parle, que l’on s’approprie."
Associer les habitants
Depuis lors, il y a clairement eu un changement de paradigme. La gestion intégrée des eaux de pluie (ou GIEP pour les acteurs concernés) qui vise le zéro rejet à l’égout repose sur des principes reconnus partout dans le monde : l’eau ne doit plus être traitée comme un déchet, mais comme une ressource. Elle doit s’infiltrer dans le sol pour réalimenter les nappes phréatiques ou être stockée pour arroser les plantes, laver les voitures, plutôt que d’utiliser de l’eau potable du robinet.
Avec le projet baptisé Brusseau, soutenu financièrement par Innoviris, Dominique Nalpas s’emploie à créer des communautés hydrologiques, soit des collectifs de citoyens, de scientifiques et d’institutions publiques ayant pour mission de proposer des diagnostics et des solutions dans lesquelles les riverains deviennent des partenaires. "La somme de toutes les parcelles publiques ou privées - toitures, jardins, cours de récréation... - recueille plus d’eau que l’ensemble des voiries, parcs et forêt de la Région bruxelloise. C’est pourquoi la lutte contre les inondations, la sécheresse et les îlots de chaleur nécessitent la contribution des habitants", souligne Dominique Nalpas.
Exemple en cours à Forest : la réalisation par Vivaqua d’un bassin d’orage d’une capacité de 5.000 m³ sous le Jardin Essentiel situe au Square Lainé, entre les parcs Duden et de Forest, a été mise sur pause. Le temps de mener une réflexion collective et de trouver des solutions alternatives. Il est question, entre autres, de prévoir une zone concave de 300 m³ pour que l’eau s’infiltre à son rythme dans la zone sableuse. Dans le parc de Forest qui va bénéficier d’une cure de jouvence via Beliris, une zone centrale inondable permettra quant à elle de retenir plusieurs dizaines de m³ d’eau en cas de fortes pluies. Plus en amont, la création de noues ou d’agrandissement des terre-pleins des arbres pourrait jouer un rôle de rétention dans les avenues Jupiter et Alexandre Bertrand. Plus bas dans la vallée, le Contrat de Quartier Durable Wiels-sur-Senne annonce des projets de désimperméabilisation, végétalisation et même le Marais Wiel’s défendu par des collectifs d’habitants pourrait avoir un rôle à jouer. "C’est ça le but d’une communauté hydrologique : avoir plein d’idées", souligne Dominique Nalpas.
Les bassins versants à l’étude
Les pouvoirs publics sont parties prenantes de cette dynamique. Au niveau régional, une étude visant à déterminer le coût du réaménagement de l’espace public pour le rendre plus perméable est en cours, indique le cabinet du ministre bruxellois de l’Environnement Alain Maron (Ecolo). "L’eau qui tombe sur les rues et les trottoirs doit plutôt aller dans les fosses d’arbres qu’à l’égout. Des places de parking seront ainsi reperméabilisées."
L’écologiste fait aussi part d’une réflexion en cours pour étendre les missions des opérateurs de l’eau que sont Vivaqua et la SBGE. "Pour qu’ils ne soient plus juste des gestionnaires de l’eau, mais qu’ils puissent aussi orienter leurs investissements dans la gestion intégrée des eaux de pluie, il est nécessaire de modifier leurs missions légales qui se concentrent aujourd’hui sur la distribution de l’eau, la gestion des égouts et la construction des bassins d’orage."
Deux autres études se penchent sur les mesures nécessaires pour évaluer le potentiel d’infiltration de l’eau de pluie qui s’écoule du bassin versant de l’avant-Senne, à Saint-Gilles et Forest, et de l’autre versant, à Molenbeek et Laeken. L’an prochain, ce sont les solutions GIEP pour la Woluwe qui seront également passées au crible. Grâce aux charges d’urbanisme de la reconversion de l’ancien siège d’Axa, sur le boulevard du Souverain, un tronçon de la Woluwe sera remis à ciel ouvert et renaturé par Bruxelles Environnement.
L’eau du métro Nord traitée
Autre preuve que la gestion de l’eau est devenue un sérieux point d’attention : le chantier du métro Nord. Que faire des eaux d’infiltrations récupérées dans les sept stations souterraines ? Comme il y a toujours de l’eau qui percole sur ces boîtes en béton, il y a toujours une double paroi qui permet de récupérer les eaux qu’il faut ensuite évacuer, dans des volumes importants, explique le cabinet Maron. "Avec le gouvernement bruxellois, Beliris et la Stib, nous avons décidé que ces eaux seront récupérées et acheminées à la Gare du Nord où il y aura une petite station d’épuration, l’eau pouvant être contaminée par des métaux lourds. Dans l’immédiat l’eau sera renvoyée dans le réseau d’égout et à terme dans la Senne remise à ciel ouvert dans le parc Maximilien. C’est le type de travail sur l’eau que l’on n’aurait pas imaginé il y a encore cinq ans !"
En parallèle, la société bruxelloise de gestion de l’eau (SBGE) mettra à jour ses études hydrauliques. "Nous sommes chargés de construire de grands bassins d’orage, pour la Woluwe et le Molenbeek. Mais ceux-ci sont reportés à 2025, car ces études complémentaires pour intégrer l’approche de la gestion de l’eau à la parcelle vont déterminer leur dimensionnement", explique le directeur général Damien De Keyser.
Même s’ils sont désormais perçus comme un outil de dernier recours, les bassins d’orage feront donc toujours partie de l’équation. "On doit réapprivoiser l’eau pour vivre avec plutôt que de la percevoir soit comme un déchet à enfouir soit comme une menace. Même s’il s’agit d’une technique un peu absurde, une cathédrale de béton qui coûte cher et pose des problèmes environnementaux, on ne pourra pas se passer complètement de bassins d’orage", précise-t-on au cabinet Maron.
Depuis plusieurs années, Bruxelles Environnement encourage les communes à s’inscrire dans cette nouvelle gestion de l’eau, au travers de subsides pour expérimenter des aménagements. "Il y a eu, par exemple, un grand projet financé à Uccle, le long de la chaussée de Saint-Job pour que les eaux de pluie n’aillent plus dans les égouts, mais dans de petits espaces verts ainsi que le Geleytsbeek. Je pense aussi au jardin de pluie construit en haut de l’avenue des Villas à Forest", indique Benjamin Thiébaux, chef de projet à Bruxelles Environnement. Les bureaux d’études qui conçoivent des espaces publics peuvent en outre bénéficier gratuitement de l’expertise d’un facilitateur "eau" afin d’améliorer la gestion des eaux pluviales dans leur projet.
Des règles plus strictes
Cette évolution dans la gestion de l’eau se traduira de manière règlementaire. Dans le cadre de sa réforme annoncée du règlement régional d’urbanisme (RRU), le secrétaire d’État bruxellois Pascal Smet (one.brussels) entend ainsi édicter de nouvelles lignes de conduite en la matière. Histoire de coller avec les objectifs de la déclaration de politique régionale de 2019 selon laquelle le gouvernement bruxellois s’engageait à appliquer autant que possible le concept dit de la gestion intégrée des eaux pluviales afin de réduire le "tout au tuyau".
Il est notamment question d’augmenter la zone perméable obligatoire dans les zones de cours et jardin en sachant que le ratio est pour l’heure fixé à 50% et d’augmenter la couche de terre au-dessus des ouvrages enterrés par rapport au seuil minimal actuel de 60 cm. Il est envisagé de ne plus faire de raccordement de descente d’eau pluviale en façade avant.
D’autres dispositifs ayant un rôle tampon pourraient être renforcés au travers du nouveau RRU. Dans les zones denses du centre-ville où toute l’eau ne pourra pas être réinfiltrée sur place, des citernes seront utiles pour stocker l’eau en vue de sa réutilisation ou pour temporiser le rejet à l’égout. Les toitures vertes sont également citées comme une solution à imposer dans les nouveaux ensembles immobiliers.
ps : article L’Echo 25082021