Parlement des choses de l’eau et du paysage ou de bassin versant Editorial - Apprendre l’écologie politique et ses pratiques

Mais que veut bien vouloir dire Parlement des choses ? Que se cache-t-il sous ce jargon dont le caractère obscure pourrait confiner au prétentieux si on ne lui trouvait une portée politique et poétique à la fois, si on n’y décelait pas l’intention pragmatique d’un programme d’action ou si l’on n’y voyait pas un potentiel d’expérimentation. Car, en effet, les choses parlent, se parlent, pour autant qu’elles aient des portes-paroles !

"L’écologie nous oblige à repenser à la fois la science et la politique. Nous exprimons cette double refonte par l’expression « le Parlement des choses ». Le Parlement des choses n’est pas une invention de visionnaire à imposer par le fer et le feu contre l’état de choses existant, il prend « seulement » en compte ce qui existe déjà parmi nous (les hybrides, devenus trop nombreux pour être accommodés par les instances de purification : la science, la politique). Il s’agit de manifester officiellement ce qui existe déjà officieusement, au sein d’une enceinte où se trouvent réunis tous les porte-parole quelle que soit l’origine de leurs mandants." B Latour

Le climat, un bel hybride

Parmi les plus fameux hybrides que connaît la planète, on peut compter sur le réchauffement climatique. Problématique majeure par son ampleur et son emprise sur la planète entière, plus que d’autres peut-être, a-t-elle permis de donner à penser sur les questions écologiques et, pour être plus précis sur l’écologie politique.

Il apparaît clair aujourd’hui que cette évolution du climat n’est pas seulement le fait d’une évolution naturelle complètement indépendante de l’activité humaine. On sait que ce dérèglement est lié à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère - molécule qui n’est certes pas inventée par les humains, pas plus que ce qui la caractérise, comme sa capacité à produire l’effet de serre - mais dont la prolifération est le produit de l’activité humaine du fait notamment de l’utilisation de la combustion des énergies fossiles, carbonées. Cette accumulation dans l’atmosphère de ce gaz produit donc, abondamment, l’effet de serre, c’est-à-dire une accumulation de la chaleur provenant du rayonnement du soleil (telle une serre) à l’échelle de la planète. L’on sait en outre que les conséquences de ce réchauffement climatique vont avoir de multiples effets en retour sur la vie des humains et des non humains, avec des épisodes de chaleur et de sécheresse intense, la montée des eaux, des épisodes de pluies torrentielles, ce qui est non seulement prévu scientifiquement, mais aujourd’hui, déjà rendu manifeste (on le voit tous les jours à la télé) et vécu comme désastreux pour tant d’êtres qui peuplent la planète et douloureux pour les humains eux-mêmes. Ce dérèglement climatique est un phénomène dont l’hybridité est composée de faits produits par les humains et d’éléments non humains...

Sortir de la dualité ’Nature Culture’

Dans ce phénomène, comme dans de nombreux autres, on ne peut plus distinguer aussi clairement ce qui est de l’ordre de la nature et ce qui est de l’ordre de la culture (par exemple) au point où c’est cette distinction même qui serait à remettre en question.

Ainsi il en va de notre rapport au monde, où nous avons pu croire que nous, les Modernes, nous pouvions en inventant ce concept de Nature, utiliser cette dernière de manière extractive, comme s’il s’agissait d’un socle de ressource neutre dans lequel on pouvait puiser sans fin et sans conséquences pour nous-mêmes, les humains : comme si il n’y avait pas de réseaux intriqués, d’inter-relations, d’interdépendances, etc, entre une multitudes d’entités non humaines et nous, les humains. Nous les modernes, nous dit Bruno Latour qui nous inspire, en séparant la Nature et la Culture, nous n’avons cessé de séparer la science et la politique, les faits et les valeurs et toutes ces choses qui les fondent.

Comment faire face ?

Comment faire face à de telles questions écologiques ? En instaurant des collectifs eux-même hybrides afin d’élaborer une nouvelle procédure de résolution de ce type d’affaires échevelées qui soit civile et légitime ; c’est-à-dire en s’assurant que toutes les parties intéressées et concernées - tous les portes-paroles - ont bien été entendues et qu’ensemble elles ont participé à la compréhension des situations dans lesquelles elles sont insérées et puissent participer à la prise de décision. et comme le dit B. Latour dans la citation plus haut : "quelle que soit l’origine des mendants"

Le Parlement des choses pose la question des collectifs que l’on doit construire, composer et agencer pour générer un dialogue serré entre ceux qui portent la parole des faits et ceux qui portent la parole des valeurs (pour faire simple), entre science (et technique) et politique donc. Mais plus que cela, le Parlement des choses doit être vu comme un continuum d’expériences dans lequel se “testent par une série d’épreuves, les capacités, les degrés de résistance et les propriétés de l’ensemble des êtres humains, des personnes collectives, des êtres de raison, et des non-humains. (...) Le Parlement des choses, selon Bruno Latour, ressemble beaucoup plus à un laboratoire qu’à la Chambre des députés, mais ce laboratoire ressemble beaucoup plus à un forum ou à la bourse qu’au temple de la vérité. » Le Parlement des choses est en soi un hybride constamment à inventer ou réinventer en fonction des situations considérées, des problèmes vécus et du mouvement de l’évolution de ces situations. Rien n’est donc sûr et définitivement installé.

De la difficulté de constituer des collectifs hybrides de porte-paroles

Ce n’est pas qu’il n’existe rien en la matière, cela fait longtemps que des processus de dialogues existent entre scientifiques et politiques. Les administrations publiques ne cessent de produire des études sur des situations concrètes. Mais on le voit pour le réchauffement climatique, l’échec est patent, car sans doute n’arrive-t-on pas à composer les collectifs nécessaires pour réaliser des politiques écologiques à la hauteur des exigences planétaires, au-delà et en-deçà des nations à la fois, et l’expérimentation permettant de construire ce collectif semble encore bien hors de portée des humains… les intérêts des nations ou des individus et de leurs entreprises contestent constamment la constitution de ces collectifs hybrides.

Mais il n’y a pas que face au climat que nous piétinons, face aux questions écologiques d’une manière générale qui exigent de nous de changer assez radicalement notre regard et nos manières d’agir, nous ne semblons pas en capacité d’expérimenter de tels parlements, parce que, soit tout simplement nous ne savons pas le faire, centrés que nous sommes sur un politique fondé sur la représentation idéologique, soit parce que pour des tas de raisons, même et surtout des mauvaises, nous rechignons à donner une légitimité aux multiples porte-paroles diversifiés qu’exigeraient les situations à traiter. Le plus souvent, sont oubliés les savoirs et expertises de personnes ou groupes de personnes concerné·e·s par ces situations, mais aussi et surtout les valeurs qu’ils portent, les usages qui les concernent, leur capacité pragmatiques à agir même. Sont oubliés surtout au travers de ces derniers, nombre de non humains qui ne sont dès lors pas représentés, qui n’ont pas de porte-paroles….

Retour aux bassins versants comme terrains d’expérimentation (dont le Versant de Forest)

En ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas ne pas penser aux inondations et autres phénomènes tels que sécheresse, pics de chaleur, et tout ce qui lie l’eau et le paysage urbain. Une inondation, par définition, n’est pas un fait de nature. Une chose inondée l’est nécessairement dans le rapport à un fait ou un usage humain. Par exemple, on construit dans des zones inondables. Parfois on a tellement imperméabilisé les sols que les ruissellements provoquent de nouvelles formes d’inondations. Que dire aussi du voûtement ancestral des rivières qui participe de la rupture des cycles de l’eau en ville... tout cela n’est qu’artifice. Même la pluie est un hybride. Sa quantité et sa qualité changent avec les activités humaines…

Cependant, sur le terrain des bassins versant, nous pourrions posséder un peu plus de maîtrise que pour le réchauffement climatique global… C’est pourquoi nous proposons de faire l’expérience d’un tel Parlement des choses au sein d’un bassin versant urbain, une base plus circonscrite et abordable, à l’échelle maîtrisable. Car nous travaillons de longue date sur les bassins versants que déjà nous voulons solidaires. Nous pourrions parler de Parlement de l’eau et du paysage ou de bassin versant.

Il y a longtemps déjà nous disions que les inondations sont aux bassins versants ce que le dérèglement climatique est à la planète, une affaire d’écologie politique. Diffère certes l’échelle, mais pas tant l’esprit d’écologie. Apprenons à faire des Parlements des choses ici dans nos petits territoires, c’est apprendre pour d’autres situations et pour d’autres échelles, c’est apprendre une véritable écologie politique pragmatique… Et parmi les bassins versants que nous connaissons, celui de Forest Nord est celui qui réunit probablement le plus grand nombre de savoirs et d’énergies civiles et scientifiques sur ces questions... C’est pourquoi, c’est sur ce petit bout de territoire que nous proposons ensemble d’expérimenter. A suivre.

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