Du bassin versant à la biorégion et retour Editorial - Un argument pour le cinquième café des savoirs

, par Dominique Nalpas

Les EGEB sont les humbles continuateurs de la notion de bassin versant solidaire initiée en Région bruxelloise en 2002 lors du conflit sur le bassin d’orage de la place Flagey. On se rappellera qu’à l’époque, il s’agissait déjà d’opposer à la vision exclusivement technocratique et “tuyautaire” une vision territoriale et participative de la gestion de l’eau. La désimperméabilisation des sols pour infiltrer l’eau à la hauteur d’un territoire tel que le bassin versant, par définition, donne une nouvelle trajectoire à cet élément dans la ville (et ailleurs), lui offrant des opportunités nouvelles de composition et d’assemblages avec ce qui l’environne qui ne sont pas sans conséquences exceptionnelles, on va le voir.

Le bassin versant solidaire un concept de géographie physique et sociale

En associant à la notion de géographie physique de bassin versant l’adjectif de solidaire, nous l’ouvrons à un concept de géographie sociale. Géographie physique et sociale, ici, s’articulent, s’inter-fécondent et nous n’avons pas fini d’explorer cette fécondité entre humains et non humains, comme certains aiment à le signifier. Nous savons que ce concept de bassin versant solidaire, né à Bruxelles est parfois utilisé par des amis à Marseille ou ailleurs. Mais plus surprenant - car sans qu’il y ait de filiation entre Bruxelles et Kyoto sur ce sujet - est de voir apparaître la notion de bassin versant solidaire au Japon, dans l’ouvrage traduit en français de Hatakeyama Shigeatsu, La Forêt amante de la mer, parue aux éditions Wildproject.

Sans eau, il n’y a pas de vie, ni humaine, ni non humaine

Il faut dire que cet élément, l’eau, dont on tire le fil depuis plusieurs décennies, n’est pas n’importe quel élément. N’était-ce pas l’un des quatre éléments qui composent l’univers selon une vision antique. C’est dire la place que l’eau occupe déjà dans l’imaginaire humain depuis Empédocle et les temps anciens. Mais pas seulement dans les imaginaires. Les sciences ont montré l’importance de cet élément physique au sein de la matière. Par sa fluidité caractéristique, sa capacité à percoler, à diluer, à capillariser, l’eau est prompte à s’immiscer dans toutes les anfractuosités, dans toutes les porosités, dans toutes les ouvertures du sol et de sa complexité biologique. C’est par l’effet osmotique qu’elle pénètre la cellule et donc le vivant, et surtout lui donne sa vitalité, en langage courant, elle irrigue. Sans eau, il n’y a pas de vie, il n’y a pas d’humains. C’est un fait.

Ainsi, une eau qui circule dans nos espaces urbains est beaucoup plus qu’une exigence fonctionnelle dans la perspective de limiter les inondations. Nous l’avions bien compris lorsque nous avions construit ce projet avec l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique : Cheminements d’eau et biodiversité pour des créations urbaines durable. C’était une belle avancée dans ce parcours d’agir/pensée. L’eau, nourricière et irrigatrice, agit sur la ville et devient élément d’urbanisme, même en partant du petit, du très local, de la source. Mais nous lui donnions une visée là encore par trop fonctionnelle en employant les termes de biodiversité et de durabilité. Même si dans le mot biodiversité, il y a le préfixe bio qui veut dire vie.

Partir des savoirs situés, pour ne pas s’enfermer dans des niches

Partir des savoirs, une multiplicité de savoirs qui associent question de l’eau, du patrimoine, du végétal,de la faune et de la flore, etc., voilà aussi ce que nous avons tenté de faire avec les Cafés des savoirs du bassin versant du Molenbeek. Autre approche de notre pensée/action, autre manière de faire plutôt descriptive qui cartographie les agir de collectifs ou autres situés géographiquement, tels des points sur une carte, autant de lieux d’intérêt qui accaparent nos attentions ou nos soins, de nouvelles créativités ou qui méritent que nous luttions pour eux.

Et c’est là, au détour de notre progression que nous nous sommes confrontés à un nouveau concept qui nous paraît fécond et tout aussi expérimental, celui de biorégion. Il nous semble qu’une telle notion nous permet d’inverser le regard en partant de la vie elle-même et des conséquences que cela a sur nos manières d’habiter. Avec un tel concept, nous souhaitons définitivement sortir de l’approche fonctionnelle de l’urbain et de sa planification surplombante, de son élaboration à partir de lasagnes institutionnelles ou de silos administratifs, mais penser nos territoires en lien avec les exigences intrinsèques et propres à la vie, tout en ne restant pas enclos dans des actions de niche.

Points, réseaux, territoires

Ce n’est pas la vie et ses formes non humaines et humaines qui doit s’adapter aux exigences de la modernité technique, juridique, financière mais l’inverse : comment nos capacités techniques et nos savoirs divers et situés de tous ordres favorisent-ils le vivant ? Cette notion n’est donc pas une finalité en soi, mais un concept qui peut nous aider à agir en partant de points, de lieux, en les mettant en réseau et formant des territoires qui n’ont rien à voir avec nos territoires administratifs et institutionnels, mais qui viennent les infiltrer, par capillarité, et les enrichir par infiltration ou composer avec eux - voire demander leur soutien ? C’est donc une opposition / dialogue qui s’instaure entre territoire et territoire. Il nous faut inventer une cartographie qui partant des milieux - les multiples milieux - donnent à ces derniers des capacités de se relier et faire territoires infiltrés - des territoires d’intensité de vie - dans et au-delà des territoires propriétés ou puissances.

La biorégion un paradoxal retour aux sources

Cette notion de biorégion dès lors, ne nous éloigne pas trop de nos sources, elle a tout à voir avec les bassins versants solidaires, qui irriguent la vie, comme le laisse percevoir Shigeatsu au Japon ou Duperrex lors des auditions du parlement de Loire. Ce sont des territoires ou écologie et économie ne s’opposent pas, mais où l’écologie n’est pas réduite à l’économie et où l’économie est conditionnée par l’écologie. “Une biorégion, c’est un lieu de vie où toutes les parties prenantes s’efforcent de vivre ensemble de façon pérenne. En repartant des bassins-versants, des microclimats, des types de sols, de la vitalité de la faune et de la flore, nos territoires habituels se redessinent”, ainsi qu’en parle Mathias Rollot, architecte et chercheur à l’Université de Nancy. Cet auteur en se demandant avec Marin Schaffner qu’est-ce qu’une biorégion ? tente de définir cette approche en s’inspirant de l’école américaine en la matière, une école favorisant l’auto-organisation (les communs), les fils de l’écologie et les bassins versants. Au détour de notre parcours, voilà que par un effet retour, nous nous retrouvons au creux de nos recherches. Nous en parlerons lors du Cinquième Café des savoirs.