La création de la Communauté hydrologique de Tenreuken Enquête participative avec la communauté hydrologique en gestation

Depuis de nombreuses années, des habitants de la commune d’Auderghem sont victimes d’inondations. Lors des fortes pluies, les caves de plusieurs quartiers et rues auderghemois se remplissent d’eau dans le bas de la commune.

Après les fortes pluies et les inondations de 2011, des habitants et les instances locales mettent la pression sur la Région pour régler ce problème. Celle-ci promet alors par la voix de la SBGE (depuis HYDRIA) la construction d’un bassin d’orage de 5000 m3 sous l’avenue Ten Reuken devant améliorer la situation de manière tangible, mais sans toutefois pouvoir écarter tout risque d’inondations.

Certains se demandent si un bassin d’orage serait la meilleure solution au problème rencontré par les Auderghemois ou plus bas dans la vallée encore ? Il y a d’abord la crainte qu’un tel ouvrage puisse causer des nuisances à l’environnement, il y a la question de son coût, mais plus encore n’y a-t-il pas d’autres solutions que des solutions techniques lourdes ?

C’est lors de l’enquête publique pour l’octroi du permis d’urbanisme sur le bassin d’orage de Tenreuken que des représentants des Amis de la Forêt de Soignes ainsi que l’AQABEF (Associations des Quartiers Auderghem Boitsfort Étangs et Forêts) ont demandé aux EGEB un avis sur ce projet bassin d’orage (BO). Brusseau (dont les EGEB font partie) s’est alors prononcé en remettant un avis dans le cadre de cette enquête publique, plutôt mitigé (Voir la position de Brusseau sur le site des EGEB publié en novembre dernier). En substance, Brusseau n’est pas favorable à ce bassin d’orage dont l’étude date de 2011 et qui n’intègre pas l’action d’une Gestion intégrée de l’eau de pluie (GIEP). Les calculs devraient être refaits sur des bases nouvelles en intégrant le temps urbanistique de la transition, nous en reparlerons.

La commission de concertation du 16 novembre 2021 donna lieu à un report de la décision de délivrance du permis, l’étude appropriée des incidences (EAI) n’ayant pas été réalisée par un bureau d’étude agréé.


Photo JM Lison

Créer une communauté hydrologique pour mener l’enquête et agir concrètement

Dans la foulée des discussions engagées autour de l’enquête publique sur le bassin d’orage, les EGEB et Brusseau ont proposé aux habitants de constituer une communauté hydrologique qui permettrait de mettre en place un diagnostic participatif du territoire et de, peut-être, trouver des alternatives à la construction du bassin d’orage. En effet, à la critique d’une solution centrée sur la technique (le bassin d’orage) pour réduire les risques d’inondation, nous voulons articuler une vision constructive : en faisant la proposition d’une distribution partagée des savoirs qui prend en compte l’ensemble du bassin versant et la capacité du territoire à intégrer l‘eau de pluie. (A ce sujet, voir le futur article sur la GIEP co-créative).

L’idée de Communauté hydrologique (CH) est issue des travaux du projet Brusseau, dans sa phase de recherche. Nous y avions défini la notion de CH comme suit : “Les CH réunissent autour de questions hydrologiques des habitants et des acteurs locaux qui mettent en commun et développent leurs expertises, tant en termes de diagnostic des flux hydrologiques que de modélisation, de réalisation et de suivi de solutions aux problèmes d’inondations (et autre problèmes hydrologiques). Brusseau a pu montrer que les CH pouvaient largement contribuer aux savoirs hydrologiques et formuler des projets concrets plus riches pour résoudre ces questions communes.

Karin et Mary-Jane qui nous avaient interpellées sont aussi les premières à se joindre à l’aventure et former le noyau d’action avec nous-mêmes. Toutes deux membres de l’AQABEF et/ou des Amis de la Forêt de Soignes, habitantes actives et personnes relais dans leurs quartiers. Malgré leurs emplois du temps chargés, elles furent ambassadrices de l’intérêt autour de la thématique de l’eau sur cette partie de la vallée de la Woluwe en amont de Tenreuken (Boitsfort et Auderghem).

Fin 2021, notre noyau actif se met en marche, quelques réunions se succèdent dans l’optique d’organiser une activité sur le terrain qui initierait des réflexions avec les habitants de la vallée et permettrait de créer les bases de la communauté hydrologique ! Pour tenter d’y arriver, tout en menant l’enquête, l’idée est de proposer un travail de cartographie collaborative - Map-it ouvert aux habitant.e.s et personnes concernées.

Aux prémices de l’enquête

Quelques pistes de réflexions, prémices du diagnostic sur le terrain, sont alors lancées afin de nous préparer à cette première activité : quelles sont précisément les rues et les personnes inondées ? Quel devrait être notre périmètre d’action ? Quels sont les territoires de la vallée les plus perméables/imperméables ? Quels sont les projets en cours dans la zone ? Quelles sont les zones présentant des opportunités d’actions, de transformations ? Quelles collaborations possibles avec les communes concernées ? Et tant d’autres questions.

A l’aide de cartes de reliefs et autres, il nous a d’abord fallu définir les lignes de crêtes afin de déterminer le territoire précis de notre bassin versant. Puis, avec l’aide de HYDR, département d’hydrologie de la VUB et membre de Brusseau, il nous est apparu que le versant ouest de la vallée présentait une plus grande imperméabilisation que le versant est. Et la présence de la Cité jardin du Logis-Floréal (logements sociaux), également sur le versant ouest, nous semblait présenter des opportunités d’actions intéressantes (malgré son classement au patrimoine et les contraintes que cela engage).

Le périmètre de notre cartographie collaborative précédé d’une balade exploratoire se situerait donc sur le versant ouest de la vallée de la Woluwe en amont de Tenreuken et des zones d’inondation ! Dans ce périmètre, nous définissons avec ARKIPEL - notre ancien partenaire en Map-it et également membre de Brusseau - une promenade exploratoire qui nous permettra de mieux comprendre et situer les potentiels d’action de cette gestion intégrée de l’eau de pluie. (Voir article sur les cartographies à venir).

La balade des Heurs et Malheurs de Tenreuken lors des JBE

Au cours de ces préparatifs, une opportunité se présente alors, celle des Journées bruxelloises de l’eau (La Balade des Heurs et Malheurs de Tenreuken). Étant un moyen certain de toucher un public intéressé par la thématique de l’eau, nous nous lançons dans l’organisation d’une sorte de balade “teasing” nous permettant de communiquer sur le Map-it.


Photo JM LIson

Ce sont une soixantaine de personnes qui nous rejoignent le 26 mars 2022 pour cette balade. Une balade centrée sur la situation de l’étang de Tenreuken : les tensions, les dangers et menaces mais également les soins dont il est sujet et les actions de naturalistes pour sauvegarder la biodiversité exceptionnelle de cette partie de notre région. Une balade pour raconter une mosaïque d’histoires, de points de vue, au travers de différents témoins, experts, habitants,… Une balade réflexive afin de mieux comprendre notre environnement dans un Esprit de la vallée. Le tout s’inscrivant dans une logique de bassin versant solidaire et de communautés de savoirs à créer tant pour réduire les inondations ou contrer les effets du réchauffement climatique que dans une perspective d’amélioration de la qualité de l’eau, de la vie de toutes et tous et des biotopes.

La balade se termine par une invitation à participer au Map-it du 24 avril ! et à rejoindre la communauté hydrologique de la vallée de la Woluwe. Le tout sonorisé et mis en ligne sur la radio locale Cherryradio1170 par Anne Versailles (vidéographe et artiste sonore de la commune). Lire aussi la recension de Balade des Heurs et Malheurs sur le site des EGEB.

Enfin la cartographie collaborative !

Le mois suivant, après avoir fait jouer les réseaux des uns et des autres, c’est une grosse vingtaine de personnes qui nous rejoignent au rond point des Trois tilleuls, sur les hauteurs des pentes ouest de la vallée : des membres de l’AQABEF et des Amis de la Forêt de Soigne, du Champ des Cailles, des habitants d’Auderghem et W-B confondus. La balade exploratoire peut commencer. Notons la présence de l’échevine de l’urbanisme.

Parcours et arrêts de la balade exploratoire du map-it à Boitsfort
Les commentaires recueillis lors de la promenade exploratoire sont ensuite répertoriés collectivement sur carte, discutés et agrémentés. Nous ne développerons pas l’ensemble des propos qui ont été tenus et de ce qui aura été cartographié ici, un article spécifique en fera part. En synthèse, il apparaît avec évidence que le potentiel d’action en termes d’infiltration de l’eau est très conséquent. Les surfaces transformables sont nombreuses d’autant que bien des descentes d’eau des bâtiments occupant ce territoire se situent du côté rue et sont donc déconnectables.

Par ailleurs, nous percevons des zones d’attention spécifiques ou des projets concrets pourraient être imaginés tel que par exemple l’axe rond point Trois tilleuls - place communale dont on nous dit que lors des grosses pluies on voit des cataractes d’eau ruisselantes. Ou encore telle ou telle rue qui pourrait faire l’objet de verdurisation et de voirie apaisée, etc. Les idées de projets abondent. Voir la synthèse.

Un potentiel d’extension de la communauté hydrologique

Une place particulière doit être donnée au territoire du Logis-Floréal. Si l’on voit bien que ce lieu est propice à une gestion décentralisée et intégrée de l’eau de pluie, il semblerait que les transformations vers une GIEP y soient freinées pour des questions patrimoniales. Cette complication devra faire l’objet d’une co-enquête spécifique selon nous : on doit en effet pouvoir combiner respect essentiel de la qualité architecturale et patrimoniale du lieu et gestion écologique du territoire. Cette apparente contradiction (récurrente en RBC) doit pouvoir trouver des issues positives et constructives. Nous nous promettons d’en faire un futur projet en soi.

Enfin, une chose apparaît avec évidence, notre première approche en nous attachant à travailler sur le versant Ouest de la vallée (du côté de W-B) devra être complétée par une action similaire sur le versant Est, du côté d’Auderghem. Nous nous félicitons ici aussi d’en faire un futur projet qui va dans le sens de la solidarité de bassin versant, se jouant des frontières administratives totalement insuffisantes pour rencontrer des enjeux environnementaux. Il apparaît en outre qu’un rapport à l’histoire (hydrologique) de la vallée est aussi nécessaire et des pistes de collaborations avec des associations d’historien.ne.s, florissantes et bien structurées à W-B apparaissent comme désirables.

Au total, l’hypothèse d’une communauté hydrologique apportant connaissances et visions nouvelles semble se construire. C’est à confirmer, bien entendu, et surtout à étendre. Quelques soutiens institutionnels seront bienvenus. Après tout, il n’est pas dit que la commune ne soit pas partie prenante de cette communauté hydrologique…

Rencontre avec la commune de Boitsfort et un Plan-Mouvement

En effet, lors du map-it du 24 avril, la question du rapport aux communes est également mise en avant par les participants. Est-ce qu’une collaboration serait possible ? Potentiellement synonyme de support politique et de moyens concrets pour des transformations futures…

Fort de notre travail de cartographie collective, nous demandons à la commune de nous rencontrer via les échevins concernés par les questions posées par notre approche / action en termes de communauté hydrologique (urbanisme, transition, participation, bâtiments publics, ..). Une rencontre a eu lieu mi-mai, avec une représentation des Amis de la Forêt de Soigne et des EGEB / Brusseau.
Les différentes actions menées sont présentées, ainsi que les objectifs plus globaux de communauté et de transformation du territoire. Les échevins* répondent plutôt positivement à l’approche que nous faisons. Nous les sentons intéressés tout en étant intrigués par notre approche mêlant enquête et participation active des citoyens. Nous les sentons adhérer à ? l’idée que, seuls, les pouvoirs publics ne pourront se confronter aux grandes questions écologiques de notre temps.

La commune de Boitsfort est en phase de construction d’un plan climat, elle veut se donner des objectifs concrets et chiffrés à moyen-long terme : 2030. Nous proposons de les y aider sur le plan de la gestion de l’eau, en proposant ce que nous appelons un Plan-Mouvement, c’est-à-dire un plan qui tienne compte de toutes les évolutions concrètes émergentes. Pour faire simple : quelque chose qui ne soit pas seulement top down, mais aussi bottum-up. Il se fait qu’avec Brusseau Bis nous imaginons ce que nous appelons une carte des opportunités et un calcul de déconnexion des toitures qui permet d’évaluer un potentiel global qui tienne compte des projets à venir. D’un commun accord, nous les soutenons dans la construction d’un projet que la commune à remis dans le cadre de l’le volet 2 de l’Action climat de Bruxelles Environnement. A l’heure de l’écriture de ce texte, la commune (et nous aussi donc) attend le verdict de BE.

Et le bassin d’orage de Tenreuken dans tout cela ?

L’approche critique procède d’une autre dynamique que l’approche constructive. Cette dernière étant lente à s’élaborer, demandant des connexions multiples et des alliances nouvelles, des regards nouveaux et des approches créatives et dialogique, une trans-disciplinarité, le sens du commun et des élaborations concrètes et pragmatiques, etc. C’est en fait la construction d’un monde en soi dont l’articulation avec l’approche critique est en tension, bien que s’en nourrissant. C’est ainsi que nous n’oublions pas notre question première autour de la nécessité du BO du côté de Tenreuken.

Nous ne sommes toujours pas en mesure de pouvoir répondre à la question de la nécessité de ce BO ou s’il est possible d’élaborer et réaliser des réponses alternatives suffisamment construites dans une temporalité raisonnable.
Il reste néanmoins que personne ne doit prendre les choses à la légère. Ni nous, ni la commune, ni les autorités régionales, ni les opérateurs de l’eau.

Concernant les questions environnementales, la critique fondamentale, de notre point de vue, se situe pour beaucoup dans la domination technique centralisatrice. L’imperméabilisation des sols, le tout à l’égout, la bétonisation à outrance de notre urbanité sont les matrices technocratiques de nombre de problèmes liés à la gestion de l’eau. La transition écologique nécessite de sortir de cette approche technico-centralisatrice dominante pour développer des approches technico- socio-environnementales diversifiées et adaptées à une multitude de situations. Le Bassin d’orage en tant que solution se situe dans la continuité de la vision centralisatrice et donc ne change pas les fondamentaux de ce qui produit le problème.

Pour autant cela ne veut pas dire que le BO ne soit pas nécessaire, car tout dépendra en effet de la capacité collective à co-construire des solutions décentralisées. Et la culture de cette approche décentralisée fondée sur une éthique du commun que nous prônons est loin de faire partie de nos vies quotidienne et de notre culture. Nous avons encore tant à apprendre à cet égard. Être solidaire des personnes inondées dans le bas de la vallée, c’est aussi vouloir que ces personnes ne soient plus inondées, c’est une évidence.

On continue l’enquête et pourquoi pas un moratoire sur le BO ?

Nous ne sommes qu’au début de l’enquête mais nous apprenons qu’HYDRIA a posé une nouvelle demande de permis d’urbanisme et que cela devra faire l’objet d’une enquête publique. En ce qui nous concerne, nous réitérerons nos critiques dès lors que rien n’aurait changé sur ce point dans la proposition d’HYDRIA. Lors de nos rencontres, la commune n’avait pas encore d’avis clair sur la question et se promettait de se documenter sur ces approches nouvelles avec plus d’attention pour reconfigurer son jugement si nécessaire. A suivre donc.

Intégrer les calculs de la GIEP, c’est intégrer un rapport nouveau au temps, celui de la transition urbanistique (donnons-nous dix ans) afin de donner la possibilité à des projets de GIEP ou autres formes de gestion décentralisée et paysagère de l’eau de se mettre en place.

Mais surtout, nous nous étonnons que ce bassin d’orage ne soit pas soumis à un moratoire comme les autres BO prévus en RBC. En effet, pour autant que nous le sachions, un tel moratoire a lieu jusque 2025 afin que soit réévaluée l’ensemble de la politique de l’eau et ses coûts. La bonne idée pour y voir clair serait de mettre le BO de Tenreuken sous le même moratoire que les autres afin de donner du temps au temps comme disait l’autre avec raison, le temps de l’enquête ?

Jephan De Schutter, Léa de Guiran et, Dominique Nalpas
pour les EGEB

La suite de l’enquête se poursuite avec cet article :
Enquête publique sur le BO Tenreuken - Octobre 2022

*
Odile Bury - Echevine de la transition et de l’environnement
Benoît Thielemans - Logement et bâtiments publics
Cathy Clerbaux - Participation, Energie, Espaces verts (elle était là ?)
Marie-Noëlle Stassart - Urbanisme, d’Aménagement du territoire, des Voiries et de la Mobilité.